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Le poids des taxes foncières à Montréal : un enjeu majeur pour préserver des espaces de travail abordables pour les créateurs montréalais

Publié par atelierscreatifs
Comme mentionné dans un article de la précédente infolettre , le territoire montréalais connaît actuellement des transformations importantes qui ont des répercussions directes sur la présence des artistes et de leurs ateliers dans les quartiers centraux de la métropole. Les nombreuses opérations de redéveloppement urbain qui ont cours, la spéculation immobilière et la gentrification qui y sont associées, viennent directement fragiliser la pérennité des ateliers d’artistes en augmentant les coûts de location. L’augmentation peut provenir de deux sources principales: le coût du loyer de base qui suit (ou parfois précède) la prise de valeur des immeubles dans un secteur donné en fonction du marché, et les taxes municipales, qui sont ajustées sur la valeur du foncier.

Les ateliers d’artistes étant taxés au même taux que tous les locaux commerciaux, le poids des taxes foncières se révèle conséquent dans des secteurs qui connaissent un fort développement immobilier. Un exemple frappant est l’augmentation qu’ont connu les ateliers d’artistes du Pôle PI2 de Gaspé qui étaient de 1,25$ le p.c. en 2014, pour augmenter jusqu’à 5,09$ en 2018. À titre d’exemple, un atelier de 600 p.c. avait une charge de 62,50$ par mois pour les taxes foncières en 2014 (750$ par année), alors que cette charge est passée à 254,50$ par mois en 2018 (3 054$ par année).

Dans ce cas précis, le poids des taxes municipales est clairement en train de remettre en cause la viabilité de ce projet. Pour rappel, ce projet consiste en un partenariat unique à Montréal entre un collectif d’artistes (le Regroupement Pied Carré) et un propriétaire privé (Allied Properties) qui a permis de préserver quatre étages d’ateliers d’artistes ainsi que des espaces de rez-de-chaussée (plus de 200 000 p.c.) dans une mégastructure de l’Avenue De Gaspé. Ce projet avait été largement voulu par les pouvoirs publics puisque l’Arrondissement du Plateau-Mont-Royal avait conditionné des autorisations de rénovations au propriétaire à la réalisation de ce partenariat. La Ville de Montréal et le gouvernement du Québec ont quant à eux accordé une subvention de 8,34 millions de dollars au Regroupement Pied Carré pour la réalisation des travaux d’aménagements des ateliers. Alors que les taxes foncières représentaient une dépense d’environ 260 500$ en 2014, cette dépense est passée à 1 060 000$ en 2018; de quoi rendre pratiquement impossible la vocation du projet, c’est-à-dire offrir des ateliers abordables aux artistes dans le Mile-End.

Même si ce type d’augmentation fulgurante est encore assez unique à Montréal, l’ensemble des projets d’Ateliers créatifs Montréal est concerné par cet enjeu fiscal. En effet, les taxes foncières représentent, selon les projets, entre 2,75$ et 3,75$ le p.c. Certaines exemptions de taxes foncières sont toutefois possibles et notre statut d’OBNL permet à certains de nos locataires de bénéficier de ces dispositifs fiscaux. Mais ces exonérations sont très limitées puisqu’elles bénéficient uniquement à des organismes à but non lucratif dédiés à la création, à la production ou à la diffusion artistique qui occupent un espace dans un immeuble dont le propriétaire est également un organisme à but non lucratif*. Autant dire que la très grande majorité des ateliers d’artistes et d’artisans ne rencontrent pas ces critères permettant une telle exemption.

Comme en témoigne ces éléments, l’obstacle que deviennent les taxes foncières pour préserver des espaces de création abordables va bien au-delà des projets d’ACM : c’est l’ensemble des ateliers d’artistes qui se trouvent dans le parc immobilier privé qui sont aussi concernés.

Les difficultés que posent les hausses de taxes foncières pour préserver des ateliers d’artistes abordables dans les quartiers centraux est bien loin d’être un problème unique à Montréal. Des instances publiques à l’international se sont d’ailleurs mobilisées sur le sujet.

En France par exemple, les artistes et artisans sont exonérés de payer la cotisation foncière des entreprises. Plus près de nous, à Toronto, un taux réduit a été mis en place en 2018 pour les concentrations créatives, sous réserve de nombreux critères. En effet, des bâtiments emblématiques comme le 401 Richmond étaient en passe de perdre leur vocation créative à cause des hausses massives des taxes municipales. La Ville de Toronto, tout comme Montréal, dispose d’un statut de métropole qui lui offre une marge de manœuvres pour définir les taux d’imposition. La capitale ontarienne s’est servie de ses pouvoirs et a mis en place un incitatif significatif pour soutenir les créateurs - un taux réduit de 50% pour les concentration créatives - reconnaissant ainsi leur apport majeur à la vie économique et culturelle. Ce dispositif fiscal a d’ailleurs été reconduit et élargi en 2019.

Lorsque la volonté politique est là, des outils et incitatifs existent donc pour soutenir la création dans les quartiers où la valeur foncière est importante. Préserver des espaces de travail abordables pour des travailleurs indépendants fragiles face au marché est un choix de société, au même titre que le logement social ou les taux d’imposition sur les revenus. L’administration Plante avait indiqué que la pérennisation des ateliers d’artistes était une priorité dans son programme électoral. Or, ne pas créer de nouveaux dispositifs fiscaux fonciers va faire en sorte que se poursuive l’exode massif des artistes et des artisans du cœur de Montréal. Quant à ACM, ces taux nous conduiront aussi à ne plus pouvoir développer et gérer des projets dans les arrondissements centraux de la métropole où les artistes sont pourtant installés. Si les élus de la Ville de Montréal ont de l’intérêt à préserver une mixité des travailleurs dans ces arrondissements, voici un geste majeur qu’ils devraient poser rapidement.


Note:
  • Voir la Loi sur la fiscalité municipale du Québec (articles 243.1 et ss)